On le savait déjà mais c’est toujours bon de le rappeler: notre beau pays de France est en train de devenir un exemple à suivre en terme de répression de classe.
A l’heure où le New Public Management est devenu une norme pour gouverner l’Etat comme on gère une entreprise, il devient dangereux d’oser l’ouvrir face à des gouvernants qui se croient être les tenants du bien.
Darmanin est le patron des chiens de gardes de la Macronie. Il a un peu vite oublié que la Police était un service public, censé défendre les plus faibles et faire appliquer la loi.
En effet, pour celui qui osera manifester, ce sera l’énucléation, où une autre mutilation si les grenades sont de la partie. Ou le passage à tabac pour celui qui aura le malheur de croiser une patrouille de la BAC au clair de lune. Ces faits ne sont sans doute pas nouveaux et le fait de rester quasiment impunis non plus. La grande nouveauté réside dans le fait que les victimes sont littéralement criminalisées.
Pour ce qui est des gilets jaunes, on reste dans la répression classique: 2500 bléssés, des milliers d’arrestations, quelques morts dont l’Etat se soucie pas plus que des jeunes de banlieue cartonnés, mutilés lors de leur 15e contrôle d’identité de la journée. Même le conseil de l’Europe et l’ONU condamnent le maintien de l’ordre à la française. Dernièrement, la Cour européenne des droits de l’homme a pointé des méthodes qui mènent à l’escalade de la violence de façon quasi systématique.
Parmi ces merveilleux usages de répression, on voit quelques nouveautés apparaître pour les journalistes et les syndicalistes: le harcèlement policier et judiciaire. Le but ici, c’est de détruire la personne et sa combativité en multipliant les convocations au poste, les garde à vue, et en condamnant symboliquement à du sursis et plus prosaïquement à des amendes.
L’éventail des faits reprochés est vaste.
Ceux à qui on promet la misère seront gentils de ne pas détruire de bureau à la préfecture (comme les Contis condamnés en 2009, ainsi que leurs patrons condamnés pour les avoir licenciés illégalement en 2013), et de laisser la chemise de leur DRH intacte.
Somme toute, les petits (“ceux qui ne sont rien”) sont priés de se faire voler, virer, briser et de crever en silence…
Les événements de ces derniers jours nous ont montré qu’il existait cependant des révoltes acceptables pour les tenants de la Start-Up Nation. Toutes les luttes ne se valent pas à leurs yeux, et surtout tous les syndicats ne sont pas égaux devant la Loi.
Certains sont sûrs de ne pas subir la moindre répression quand ils manifestent de n’importe quelle façon que ce soit. Par exemple, quand des flics manifestent en arme devant l’assemblée nationale en crachant sur les juges, aucune sanction n’est prise. Quand les agriculteurs bloquent les routes ils n’empêchent personne d’aller travailler, contrairement aux agents de la SNCF qui “prennent les usagers en otage” (Le type qui a inventé cette expression outrancière n’a d’ailleurs aucun respect pour les victimes de réelles prises d’otage).
Ils peuvent également faire pour des millions d’euros de dégâts (saccage à grand coup de lisier et d’ordures, incendie de la mutualité sociale agricole de Narbonne, bitume brûlé sur des centaines de mètres carrés, dégradations d’équipement routiers) alors qu’un banlieusard peut mourir pour une vitre d’arrêt de bus.
Pour info, on parle de 8 Millions d’euros dans les médias, mais en recoupant les chiffres on obtient bien plus…
Comble de malheur, la Jacquerie a privé les politiques de leur exercice d’exposition annuel le plus populaire. Plus que le foot, plus que l’inauguration des chrysanthèmes bien que moins élevé en dignité: Le tâter de vaches au salon de l’agriculture. Ces sauvages ont gâché le fête et le capital de récupération de l’opération est moindre pour les élites parisiennes qui mettent à cette occasion le mépris qu’ils ont pour la province de côté. Un fois l’an. Ce qui ne les empêchent pas de fermer les hôpitaux de campagne en rentrant au ministère.
Malgré tout ce tapage, on aura pas vu d’affrontement plus sauvage que des gardes à vue sans conséquences où les gendarmes ont été “vachement sympas”.
Ici, pas de mains arrachés, pas de condamnations iniques, pas de harcèlement. Pourquoi le pouvoir d’habitude si pointilleux semble-t’il si magnanime?
Premier point avancé par Darmanin: ces gens travaillent. Les infirmières délogées à coup de pied par des CRS en 2020 apprécieront d’être en plus traités de feignasses.
Deuxièmement: ce sont des patriotes. Des patriotes qui pourrissent des bâtiments publics? qui menacent de marcher sur la capitale et l’assemblée?
Si demain je me réclame d’un quelconque patriotisme, est-ce qu’on me laissera manifester devant chez un ministre comme ça s’est vu devant le domocile de Le Foll. Je doute que Monsieur Guérini reste courtois…
En fait, la raison de cette asymétrie est bien moins morale et vertueuse que ça…
Les agriculteurs sont défendus par des “syndicats” qui sont à la botte des patrons et des politiques, et/ou qui sont des alliés du RN comme la coordination rurale, même si ils s’en défendent. Le gouvernement n’a de cesse de gratter sur les terres de l’extrême droite et ne fait pas autant de chichis quand il faut taper sur la CGT (et même sur la confédération paysanne quand elle détruit des OGM). Le FNSEA était une base de départ comme une autre pour les politiques de droite (Jacques Chirac par exemple) et le reste aujourd’hui. Elle ne défend pas les paysans mais le complexe agro-alimentaire.
Nous sommes ici sur un terrain qui n’a rien à voir avec un quelconque syndicalisme, nous sommes face à un Lobbyisme agressif qui se sert d’une base constituée pour être mise à disposition des puissants. Là où les casse-dalle à la brasserie Lipp se sont avérés insuffisants, on envoie Gérard, sa colère, sa tracteur et ses 500 000 euros d’emprunt pour faire pression sur les distributeurs qui se sont engraissés sur l’inflation.
On ne le fait pas pour soulager ceux qui n’ont plus les moyens de bouffer, on le fait pour avoir sa part du gâteau.
Une des raisons supplémentaires qui expliquent ce relâchement de la part des champions du flashball , c’est que des agriculteurs, équipés en véhicules et matériel agricoles sont bien plus difficiles à réprimer que les écolos à dreadlocks qui luttent contre les méga-bassines des céréaliers… Ils sont capables de toutes les audaces et ont les moyens de leurs ambitions.
On doit ménager la chèvre et le chou: la Macronie ne peut survivre sans outils de répression; elle ne peut pas non plus survivre sans s’appuyer sur une idéologie anti-pauvre tracée par et pour des milliardaires propriétaires des moyens d’information. Les agriculteurs qui traitent les fonctionnaires et les ouvriers de feignants que vous avez vu sur C-news ne constituent pas l’intégralité du monde paysan, ce sont les idiots utiles d’un système au bord de l’explosion.
On assiste donc à l’étayage d’une gestion du conflit social à double vitesse. Là où la CFTC a inauguré la naissance des syndicats jaunes, l’Etat encourage l’émergence et la pérennité de syndicats bruns, idéologiquement plus ancrés dans l’air du temps rendu nauséabond par ceux qui nous gouvernent et ceux qui nous “informent”.
La répression à la gueule du client n’est jamais que l’expression de ce contre quoi nous luttons dans notre organisation: la préférence de classe et la réification des travailleurs.